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Louis-Marie Dantès Bellegarde a vu le jour à Port-au-Prince le 18 mai 1877 d’une famille proche des instances politiques haïtiennes. Il fait ses études classiques au Lycée Pétion puis des études supérieures en Droit. En 1897 il est nommé professeur au Lycée Pétion et fondera en 1898 la revue littéraire « La Ronde » de concert avec Pétion Gérome. En 1904, Bellegarde est nommé directeur de l’instruction publique et révoqué en 1907 en raison de ses opinions firministes. De 1911 à 1913, il est chef de service à la BNC et collabore (1911-1912) avec la revue Haïti littéraire et scientifique. De 1912 à 1914, il est secrétaire de Michel Oreste puis revient à la BNC d’où lui surprendra le débarquement des forces de l’occupation américaine. Sous la présidence de Sudre Dartiguenave (1915-1922), Bellegarde est nommé secrétaire d’État de l’instruction publique puis de l’agriculture. « Pendant cette période d’occupation et de guerre, il mène un travail acharné pour maintenir en état le système d’enseignement, en cherchant à augmenter notamment les salaires des instituteurs » (CHEMLA).
Vers les années 1920-1921, Bellegarde commence une carrière de diplomate. D’abord, il est nommé à la cour internationale de justice de la Haye, ministre plénipotentiaire à Paris et délégué d’Haïti à la Société des Nations (SDN), à Genève, où il dénonce régulièrement l’occupation américaine. Il est aussi le représentant d’Haïti au Vatican. Et en 1930, il est ambassadeur d’Haïti à Washington D.C. de retour en Haïti en 1936, il occupera jusqu’en 1941 le poste de Directeur de l’École Normale Supérieure. Il sera enfin chargé de missions à Washington en 1946 et en 1957. Il représente momentanément Haïti lors de rencontres internationales, notamment en Amérique centrale et en Amérique latine (CHEMLA). Dantès Bellegarde meurt à Port-au-Prince le 16 juin 1966. Il a laissé des ouvrages intéressants dont celui que nous présentons ici : « L’occupation américaine d’Haïti, ses conséquence morales et économiques ».
Le contexte de publication de l’ouvrage
Ce livre est apparu pour la première fois en 1929 aux éditions Chéraquit. Il fait partie d’une série de travaux de Bellegarde sur l’occupation américaine d’Haïti ou encore les relations haïtiano-américaines dont on peut citer : L’Occupation américaine d’Haïti (1924), La République d’Haïti et les États-Unis devant la justice internationale (1924) et La Résistance haïtienne (1937).
L’occupation américaine d’Haïti, ses conséquence morales et économiques est une adresse au président de la République des États-Unis, Monsieur Herbert Clark Hoover. Ce dernier a séduit Bellegarde grâce à un discours non interventionniste alors qu’il était secrétaire du commerce du président Calvin Coolidge. D’où cette plaidoirie auprès de ce dernier sur les conséquences néfastes de l’occupation américaine d’Haïti en espérant qu’il allait mettre fin à l’occupation affligeante du pays. Malheureusement les souhaits de Bellegarde ne se sont pas réalisés. Monsieur Hoover n’a pas mis fin à l’occupation américaine durant sa présidence de 1929 à 1933. Il a fallu attendre l’arrivé de Franklin D. Roosevelt en 1934 pour voir les forces militaires de l’occupation laissée le pays. Observateur privilégié (ministre et diplomate), Bellegarde connait mieux que d’autres et a su décrire correctement la situation de dégradation économique et morale de l’occupation.
Des éléments de justification possibles de l’occupation américaine d’Haïti
Le 28 juillet 1915, le corps d’infanterie des marines des USA a pris possession d’Haïti au nom du gouvernement des États-Unis d’Amérique. Aucun motif, aucun prétexte ne saurait justifier cette intervention que ce soit du point de vue morale, économique, juridique ou humanitaire. Du côté de la morale, aucune insulte n’a été faite au gouvernement des USA ou à l’un de ses citoyens. Du point de vue économique, au 28 juillet 1915, Haïti était uniquement débiteur de la France et répondait, en dépit des difficultés, à ses obligations financières vis-à-vis de la République française. Aucune dette n’a été contractée par la République auprès des USA, qui pourrait éventuellement entrainer un défaut de paiement et justifier l’intervention des yankees. Du point de vue juridique, le droit international reconnait à chaque nation l’égalité parfaite avec les autres nations et du coup l’interdiction de toute forme d’occupation et de protectorat. L’argument le plus généralement avancé par les occupants est celui de l’humanitaire, autrement dit, la protection de vies et de biens des Haïtiens. Face à un tel argument, l’on se demande où étaient les Yankees lors des différents affronts faits aux Haïtiens par des républiques européennes (affaire Rubalcavar, Batch, Luders, etc.) ? Qu’est-ce qui explique le massacre de 3500 paysans par les Yankees au cours des quatre (4) premières années de l’occupation ? Donc, l’argument de la protection humanitaire tombe à l’eau. Qu’est-ce qui justifie donc l’occupation américaine d’Haïti ? Seuls des intérêts financiers d’hommes particuliers de faire main basse sur les fortunes d’Haïti et de satisfaire leur instinct de domination justifie l’intervention de 1915 et le maintien de cette occupation.
Les conséquences morales de l’occupation sur le peuple haïtien
L’occupation américaine d’Haïti a entrainé une déchéance morale du pays. Qu’ils s’agissent de la paix, de la liberté, du respect de la loi et de la justice, du droit d’indépendance et de la démocratie, le peuple haïtien n’en possède aucun. Force est de constater qu’en dépit des promesses de paix faites à la population haïtienne lors de la signature de la convention haïtiano-américaine légalisant l’occupation en septembre 1915, Haïti n’a obtenu ni paix ni liberté. Durant les quatorze années que dure l’occupation militaire, elle n’a apporté que haine et esprit de révolte aux cœurs des Haïtiens. Si d’ordre, il existe, il est imposé à la pointe des baïonnettes. D’ailleurs les Yankees, eux-mêmes, soutiennent que dès qu’ils partiront le pays sombrera dans le chaos et l’anarchie. Quels aveux ! Les Yankees n’ont travaillé qu’à l’asservissement moral du peuple haïtien. Ils ont détruit la justice en mettant fin au principe de l’inamovibilité des juges qui sont désormais nommés par le président de la République. Quant aux décisions prises par ces juges, elles ne sont exécutées que selon le bon vouloir et si elles plaisent aux occupants. La liberté de la presse et la séparation des pouvoirs, garantes de la démocratie, ont été révoqué. À cet effet, seul le pouvoir exécutif existe. C’est le président de la République qui nomme les juges et les membres du conseil d’État (21 au total), qui en retour choisiront le président. Et, le président lui-même répond des ordres du haut-commissaire américain qui disposent de forces militaires cantonnées à l’arrière du palais national pour se faire obéir. La République d’Haïti a perdu son droit d’indépendance dans sa capacité de légiférer et de la gestion de l’administration publique. La constitution de 1918 est d’ailleurs l’œuvre du secrétaire d’État Franklin Roosevelt.
Les conséquences économiques de l’occupation sur Haïti
De même que les promesses de paix, des promesses de prospérité ont également été faites lors de la signature de la convention de septembre 1915. Toutefois, force est de constater qu’Haïti n’a pas connu cette prospérité. Cependant, la situation de production du pays s’est dégradée avec l’occupation. Si l’on compare les exportations du pays entre la période d’avant et pendant l’occupation, l’on remarque une nette diminution des exportations au cours de la deuxième période de l’occupation. Aucun effort n’est réalisé par les forces d’occupation pour intensifier et diversifier la production locale. La pauvreté de la population s’est renforcée au point de se transformer en misère abjecte. Les rares initiatives prises par les occupants sont non efficientes et traduisent du gaspillage de ressources. Les seuls points où l’occupation semble briller sont l’importation de soi-disant experts venant des USA et l’imposition de nouvelles taxes. Depuis, leur arrivée au pays, Haïti importe de plus en plus d’experts, souvent sans aucune expertise. Des taxes sont imposées à l’économie haïtienne sans considération des capacités de production et du pouvoir d’achat de la population haïtienne. De plus, la population n’a aucun droit de regard sur l’utilisation des fonds prélevés sur sa production. Le pays ne dispose d’aucune institution de crédit agricole, industriel ou artisanal, alors que la population est en haillons, des distillateurs ferment leurs guildives ; les occupants sont fiers d’affirmer qu’Haïti prête de l’argent à Wall Street ! Voilà à quoi est destiné l’argent des impôts haïtiens : à financer le développement des établissements financiers des USA !