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A moins d’un mois de la réouverture des classes, soit le 14 août 2021, Haïti s’est réveillé au rythme des secousses d’un séisme de magnitude 7,2 sur l’échelle de Richter. La région du Sud du pays a été violemment touchée, particulièrement ces trois départements : la Grande-Anse, le Sud et les Nippes. On retient en termes de dégâts humains et matériels : 690 000 personnes affectées, 2 248 décès, 12 763 blessé-e-s, 329 personnes disparues ; 53 815 maisons détruites, 83 770 maisons endommagées et plusieurs routes coupées selon le rapport d’étapes du centre d’opérations d’urgence national, publié le 4 septembre 2021. Le 17 août 2021, soit trois jours après, la tempête tropicale Grâce s’abat sur le pays, emportant ainsi 620 maisons dans le Sud dont 500 dans la commune de marigot. Ces deux phénomènes naturels viennent assombrir le tableau de l’existence des gens du Sud (incluant quatre départements géographiques : Grand-Anse, Nippes, Sud et Sud-est); lesquels vivaient déjà une situation proche de l’urgence humanitaire, par rapport à la difficulté d’approvisionnement provoquée par la guerre des gangs armés, créant ainsi une véritable frontière à Martissant, Section communale de Port-au-Prince située au sud de la capitale.
Du mardi 17 au jeudi 19 août 2021, la Ministre de l’éducation nationale et de la formation professionnelle, accompagnée d’une équipe composée de son directeur de cabinet, du représentant de l’Unicef en Haïti, du directeur départemental de l’éducation, et de son adjoint, s’est rendu dans le grand Sud pour constater les dégâts et se faire une première idée de l’état des infrastructures scolaires de cette région. Cette évaluation personnelle est censée lui servir de cadre pour apprécier les comptes rendus des délégués envoyés tantôt sur le terrain. Lesquels comptes rendus permettraient de mettre en œuvre des réponses dans l’immédiat, en vue de reprendre graduellement les activités scolaires dans cette contrée du pays. Dans cette évaluation, plus de 90 écoles nationales endommagées à plusieurs niveaux, ont été dénombrées dans le département du Sud, près de 106 écoles publiques et non publiques détruites partiellement ou totalement dans les Nippes, et 70 écoles détruites dans la Grand-Anse.
Cet état de fait a convaincu les autorités gouvernementales en place lors d’un Conseil des ministres tenu le jeudi 2 septembre 2021 de repousser la date prévue pour la réouverture des classes pour les régions touchées par le séisme au 4 octobre 2021. Aujourd’hui, l’on se demande ce qui a été fait entretemps pour favoriser cette réouverture ? Les écoles sont-elles prêtes effectivement à accueillir les écolier-ère-s ? Le corps des enseignants et dirigeants des écoles a-t-il été pris en charge et outillé (eu égard à la santé mentale) afin de bien accompagner les écolier-ère-s? Les conditions psychosociales favorisant l’enseignement et l’apprentissage sont-elles prises en compte pour la rentrée scolaire? En considérant les impacts du séisme sur les conditions de vie des familles, sont-elles à même de répondre aux défis de cette rentrée des classes ? Pour répondre à ces questions et bien d’autres, LIH Media a déployé une équipe sur le terrain du 19 au 24 Septembre 2021 pour observer le Grand-Sud en contexte post-catastrophe naturel. Ce travail consistait à évaluer les secteurs d’activités touchés par le séisme, la gestion de l’urgence, le mode d’organisation de la population affectée pour répondre à leurs besoins et ainsi analyser les mécanismes de production-reproduction de la vulnérabilité de la population. De là étant cet article s’appuie sur les documents relatifs à la gestion de l’urgence, l’observation et les entretiens réalisés par l’équipe avec les membres de la population touchée. Ainsi, nous y analysons l’impact du séisme sur les infrastructures scolaires au regard des actions/ l’inaction des autorités publiques dans ce secteur; les impacts socio-économiques du séisme sur les familles, ainsi que la gestion de l’urgence humanitaire en contexte la rentrée des classes.
La rentrée des classes pour ce 4 octobre 2021 ; décision de façade des autorités publiques
Selon le rapport d’étape du Centre d’opérations d’urgence national (COUN), au lendemain du séisme du 14 août 2021, l’aide humanitaire s’est focalisé sur les besoins en aliments, en eau, en assainissement, en hygiène, et en santé. Parallèlement, dans le secteur éducatif, aucune action réelle n’a été effectuée pour permettre la reprise des classes à la date prévue. En effet, selon les dires de la population, et l’observation de l’Equipe de terrain de LIH Média, aucune présence d’autorités publiques n’a été remarquée sur les sites des écoles endommagées ou détruites. Pas d’activités d’évaluation, de réparation, de déblayage ou encore de mises en place de structures provisoires pour accueillir les élèves. Le rapport d’étape effectué ne parle d’action qu’en termes de prévisions et de ce qui doit être fait.
Selon ce même rapport, sur un total de 2 800 écoles existant dans le Grand-Sud, seul 1 064 écoles privées et publiques ont été évaluées, soit près de 50% de la totalité. Les données de l’évaluation du Ministère de l’Education Nationale et de la Formation Professionnelle (MENFP) montrent que près de 70% des écoles évaluées, soit 767 écoles, parce que détruites ou endommagées, nécessitent une intervention de la part des autorités publiques. Cette évaluation nous laisse entrevoir une réalité encore plus inquiétante quand on considère qu’il s’agissait seulement d’une première évaluation et qu’il était possible d’avoir une proportion d’écoles endommagées et détruites similaire dans les 50 % d’établissements non évalués.
Cela dit, sur le plan infrastructurel, la rentrée scolaire prévue pour le 4 octobre 2021, pour les zones touchées par le séisme n’est qu’une décision de façade considérant l’inaction des autorités publiques. L’évaluation préliminaire effectuée par la ministre n’a eu jusqu’à présent aucun suivi concrète. Telle est la situation post-séisme du secteur éducatif dans le grand-Sud après la décision de repousser la date de la réouverture des classes près de deux mois plutôt.
Le défi de la rentrée scolaire face à l’impact du séisme sur le revenu des populations touchées
Si sur le plan infrastructurel, la réouverture des classes parait chimérique, elle l’est encore plus au regard des impacts socioéconomiques sur les familles affectées. Par impacts socioéconomiques, nous entendons les dommages et pertes enregistrées dans les secteurs du logement, de la santé, de l’élevage, de l’agriculture, du commerce, de l’emploi, de la sécurité et de la protection. Au passage du séisme du 14 août, tous ces secteurs ont été affectés à un niveau ou à un autre. Selon les observations et les entretiens réalisés par l’équipe de terrain de LIH Media, la population enquêtée explique que deboulay tè -le glissement de terrain- a emporté plusieurs têtes de bétail, voire même des cheptels. Lors d’une visite de terrain des agents de notre media au marché de Durcis le mardi 21 septembre 2021, entre 6h 30 et 10h 30, le représentant du CASEC de la quatrième Section communale de Camp-Perrin a expliqué qu’à cette heure du marché, l’espace réservé à la vente de bétails serait débordé à tel point qu’il n’y aurait d’espace pour se tenir et qu’aujourd’hui, la circulation est plutôt fluide dans le marché . Plusieurs autres acheteurs et vendeurs ont confirmé cette information.

Sur le plan agricole, la population enquêtée explique que leurs jardins ont été emportés par ce même mouvement de terrain. Des jardins de maïs, et de haricot noir à peine semés ont été totalement ou partiellement détruits dans plusieurs localités rurales comme Masline et Piko à Camp-Perin, Fyèvil à Chadonnières, Kavalye à Port-à-Piment, Mousanbe à Les Anglais. En ce qui concerne le commerce, beaucoup de vendeurs ont expliqué avoir perdu leur investissement sous les décombres.
Cette situation nous montre à quel point le séisme a affecté les sources de revenus des parents. Ce qui revient à dire qu’ils se retrouvent dans l’incapacité de répondre aux coûts de préparation de la rentrée scolaire surtout quand on sait que l’offre scolaire en Haïti est majoritairement non publique (privée). Nous pouvons mentionner entre autres, l’impact du séisme sur le psychique des parents, des enseignants ainsi que des élèves. Plusieurs interviewé-e-s ont expliqué avoir latranblad par moment, et leurs enfants ont tendance à courir à chaque réplique, ce que les spécialistes appellent l’hypervigilance. Ce qui fait que ces personnes ne sentent pas rassurées quant à l’envoi des enfants à l’école surtout dans les mêmes bâtis d’avant le 14 août.
Compte tenu de l’impact du séisme sur le parc scolaire dans le Sud, sur le revenu des parents et sur leurs psychiques et sur celui de leurs enfants, la réouverture des classes est illusoire. Ce qui pose problème en réalité, ce n’est pas l’impact du séisme via les indicateurs mentionnés plus hauts mais la gestion de l’urgence en contexte de la rentrée scolaire.
La gestion de l’urgence humanitaire mécanisme de reproduction des inégalités scolaires
Pour répondre à l’urgence humanitaire, les acteurs impliqués dans la gestion de l’aide se basent sur la primauté des besoins quotidiens de la population tels que l’alimentation, l’eau potable, la sante, l’hygiène. Cela dit, les secteurs d’activités pouvant permettre à la population de reprendre le cours de sa vie sont relégués au second rang au vu des actions posées. Dans cette vision étapiste des choses, le secteur éducatif n’a pas été pris en charge de manière urgente alors que la rentrée scolaire se situait à moins d’un mois par rapport au passage du séisme. D’ailleurs, même après l’évaluation préliminaire de la ministre, et de son équipe, aucune action n’a été posée concrètement pouvant faciliter la réouverture des classes. Tenant compte du contexte de la rentrée scolaire, les actions posées devraient prendre en compte non seulement l’urgence humanitaire mais aussi l’impact du séisme sur le secteur de l’éducation sur la décapitalisation des familles, sur la condition mentale des populations impliquées (parents, élèves, personnel enseignant et administratif).
Aucune action n’a ciblé le corps des enseignants et dirigeants des écoles. Le personnel enseignant et le personnel administratif n’ont pas reçu d’accompagnement psychologique avant la rentrée scolaire. Ils ne sont pas non plus outillés pour accompagner les élèves présentant éventuellement des symptômes psychologiques lié au séisme. De plus, l’hypervigilance des élèves, mentionnée par les parents peut constituer un véritable frein à l’apprentissage et au fonctionnement des salles de classes, ce qui mériterait une attention particulière lors de la rentrée.
Ces considérations, bien qu’elles n’auraient garanti l’apprentissage des élèves vu les conditions mentales et psychologiques de la population touchée, auraient favorisé la rentrée des classes.

Tout compte fait, cette décision de remettre au 4 octobre 2021 la rentrée scolaire en raison des dégâts survenus au passage du tremblement de terre du 14 août 2021 n’a été agrémentée d’aucune action ni sur le plan infrastructurel, ni sur le plan de l’accompagnement des familles affectées. Toutefois, dans cette dynamique d’absence de réponses face à l’urgence de la rentrée scolaire, les écoles non touchées par le séisme et celles ayant les moyens de recourir à des structures d’accueil provisoires ouvriront quand même leurs portes pour accueillir leurs apprenants. Et, les familles les moins affectées par le tremblement de terre seront en mesure d’envoyer leurs enfants à l’école. Ce cas de figure entraîne par conséquent des inégalités scolaires en termes d’accès à l’éducation et de conditions d’apprentissages dans les localités rurales mais aussi sur le plan national. Un fait que nous pouvons situer dans la logique d’idées postulant que les inégalités scolaires (écoles publiques-écoles privées ; villes-campagnes, familles défavorisées-familles-aisées) ont été concoctées historiquement de par les décisions et actions des autorités publiques dans ce domaine (François, 2011).